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Béton bas carbone : le regard de Laurent Frouin
VINCI Construction et Ecocem, fournisseur de liant bas carbone et premier producteur européen indépendant de laitier moulu de haut-fourneau, travaillent ensemble depuis une quinzaine d’années. Son directeur Recherche & Innovation, Laurent Frouin, aujourd’hui à la tête d’une équipe de plus de 20 personnes, évoque sa passion pour le béton et l’enthousiasme partagé avec VINCI Construction dans le cadre du co-développement de solutions avancées de formulations bas et ultra bas carbone depuis 2017.
La ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique (LGV SEA), ITER à Cadarache, la tour La Marseillaise dans la cité phocéenne, le Campus Condorcet à Aubervilliers ou encore HEKLA à La Défense : les références d’Ecocem font apparaître un nombre important de réalisations du groupe VINCI…
Laurent Frouin : De nombreuses réalisations de VINCI Construction contiennent du laitier moulu d’Ecocem. Nous avons commencé à travailler avec les équipes en 2009 dès le lancement de notre premier site de production français à Fos-sur-Mer. Différentes opérations de bâtiment, de génie civil ou de travaux souterrains nous ont donné l’opportunité d’apprendre à nous connaître. De mon côté, j’ai rejoint Ecocem en 2014 à un moment où l’entreprise investissait massivement dans la recherche et le développement. J’ai constitué une équipe de jeunes chercheurs que nous formions et accompagnions. Parmi ces thèses, l’une nous intéressait particulièrement car elle portait sur les ciments très bas carbone. Elle était conduite à l’École normale supérieure de Cachan (NDR : aujourd’hui ENS Paris-Saclay) par un doctorant d’origine ukrainienne, Artur Kiiashko qui est aujourd’hui responsable du laboratoire béton d’Ecocem.
Où en était l’état de la recherche sur les solutions bas carbone au milieu des années 2010 ?
Laurent Frouin : Ecocem a été proactif dans ce domaine. Nous connaissions les blocages normatifs associés, et peu de débouchés business se dessinaient à l’époque. Nous avons donc débuté les recherches par conviction. Néanmoins, je savais que nos études trouvaient un écho favorable au sein du laboratoire béton de VINCI Construction et cela nous rassurait, car la crédibilité d’une telle démarche se devait de reposer sur l’intérêt des grands acteurs du marché. Dans un premier temps, nous avons découvert que des travaux de qualité avaient été initiés en Ukraine et dans l’ex-Union Soviétique entre 1960 et 1990, notamment par Pavel Kryvenko à l’université nationale de construction et d’architecture de Kiev, et n’avaient jamais « traversé le mur » pendant la guerre froide. Des ciments formés à partir de liants alcali-activés (NDR : argiles calcinées, laitiers de hauts fourneaux ou cendres volantes) avaient même fait l’objet de normes !
En 2017, les experts béton de VINCI Construction et Ecocem se rapprochent pour accélérer la transition écologique du secteur du BTP en développant ensemble des solutions bas carbone. Quelles sont les premières exigences identifiées ?
Laurent Frouin : Nous avions un impératif : ne pas utiliser d’activants alcalins dangereux. Dans les années 1990, j’avais été confronté à la chimie des silicates de soude pour du béton projeté, et j’en connaissais la dangerosité. Après avoir trouvé une alternative satisfaisante et affiné les performances de ce ciment en matière de rhéologie, les équipes de VINCI Construction nous ont poussés à aller plus loin. Ce béton bas carbone devait avoir des propriétés équivalentes à un béton traditionnel en matière de viscosité, de fluidité et de comportements de mise en place. Une des forces de l’ingénierie du matériau béton de VINCI Construction a été de toujours envisager la réussite d’une formulation à l’aune de son approbation et de sa mise en œuvre effective sur chantier, garantissant ainsi les performances techniques, environnementales et économiques de ces bétons. Ensemble, nous avons poursuivi les études sur ce béton courant, persévéré dans des approches réalistes, conçu et testé ces solutions dans le laboratoire de Marolles-en-Hurepoix pour en améliorer la robustesse et la rapidité de séchage. En tant que fournisseur, cette collaboration était aussi agréable que motivante.
Comment sont nées les solutions Exegy ?
Laurent Frouin : Les normes françaises et internationales limitent les quantités d’addition minérales pouvant être utilisées en substitution du ciment dans les bétons. La gamme de solutions Exegy débute avec des bétons d’ingénierie qui rentrent dans le cadre normatif français actuel. Nous avons pu accroître encore davantage les teneurs en laitier grâce à l’approche performancielle qui favorise l’innovation en offrant plus de souplesse dans le choix des constituants des bétons et de leur formulation, et donc une plus grande diversité de solutions durables. Seule exigence : réaliser tout un ensemble d’essais afin de valider l’équivalence de performance avec un béton de référence. En travaillant sur des solutions ultra bas carbone (UBC), nous sommes allés encore plus loin avec le remplacement quasi-intégral du clinker permettant ainsi une réduction de près de 70 % des émissions de CO2.
Quel a été le premier chantier où vous avez mis en œuvre cette solution de béton structurel UBC ?
Laurent Frouin : Nous avons contribué à la mise en œuvre de ce béton sur l’archipel, le siège du groupe VINCI à Nanterre, dans le cadre de six poteaux structurels de l’un des bâtiments (NDR : le bâtiment Pemba qui accueille les équipes de VINCI Construction), reprenant la charge de huit étages. Le béton a été produit depuis les centrales du projet e-déf Eole-La Défense. Je me souviens de la réalisation de ces piliers qui ressemblaient à des monolithes de marbre, et de la fierté partagée avec les équipes de VINCI Construction. Pour notre deuxième chantier, en mars 2021, Soletanche Bachy (VINCI Construction), associé à Béton Solutions Mobiles, a réalisé une barrette de fondation en béton ultra bas carbone à 17 m de profondeur dans le cadre de la construction des postes à quai 11 et 12 sur la phase III de la modernisation de Port 2000 pour le Grand Port Maritime du Havre. Enfin, avec l’appui de la Société du Grand Paris, nous poursuivons notre partenariat avec une expérimentation sur des voussoirs ExegyUBC pour les chantiers de la ligne 18 du Grand Paris Express. L’occasion d’affiner les données relatives à la cure thermique lors de la phase de durcissement du béton (NDR : la cure, obligatoire pour tous les bétons, représente l’ensemble des précautions à prendre pour protéger le béton, de sa mise en place au développement d’une résistance suffisante).
Et pour l’avenir ?
Laurent Frouin : Nous souhaitons renforcer nos solutions selon deux axes de progrès. D’une part, une nouvelle thèse, co-financée par VINCI Construction, est en cours à l’Institut National des Sciences Appliquées de Toulouse sur les paramètres de durabilité. D’autre part, nous travaillons à améliorer la phase de durcissement. De façon plus large, Ecocem a annoncé en mai 2021 la finalisation d’un investissement de 22,5 M€ réalisé par Breakthrough Energy Ventures (BEV) et Breakthrough Energy Ventures-Europe (BEV-E). Ce dernier nous permettra de commercialiser de nouveaux produits à très faible teneur en carbone dans les années à venir. Le béton est un matériau fantastique qu’il faut faire évoluer. Cette transformation est en marche. La culture cimentière évolue rapidement, et c’est tant mieux. Chez Ecocem, nous sommes convaincus que la meilleure façon de décarboner l’industrie cimentière dans un délai bref, c’est de bâtir des liants astucieusement formulés qui à la fois seraient pauvres en laitier et permettraient une réduction massive du facteur clinker. La science, la recherche et la technologie doivent accompagner la résolution des défis de la société de demain. Remettre le savoir-faire au centre du jeu sera crucial, et c’est ce que VINCI Construction France a réussi à faire en conservant une équipe d’ingénieurs béton expérimentés et passionnés, et en développant la culture de la part propre. L’entreprise s’est donné un avantage compétitif indéniable, notamment sur les sujets environnementaux.